
Dans Hippocampe, Eva Marzi explore les confins de la mémoire, de l'identité et de l’amour à travers l’histoire de Malik, un jeune homme victime d’un accident traumatique qui l’a plongé dans un état d’amnésie profonde. Le récit suit sa lente et trouble remontée vers lui-même, aidé — ou accompagné — par Sofia, une figure douce, aimante, obstinée. Mais ce n’est pas un roman de guérison. C’est un texte poétique, flottant, où le passé se dérobe, où les souvenirs sont des ombres, et où le langage tente tant bien que mal de reconstruire une continuité perdue. Plus qu’une histoire, Hippocampe est une immersion dans un état psychique flou, une expérience sensorielle de l’oubli et de ce qu’il reste quand on ne sait plus vraiment qui l’on est.
Ce texte m’a profondément touchée, notamment ce passage que je vous partage ici et qui a résonné en moi comme peu d’autres.
Chaque jour
on pèse mon âme
Y a-t-il en moi
quelqu'un à sauver ?
Avoir survécu
ne suffit pas à prouver
que j'existe
Ils veulent que je puisse me dire
me raconter
cocher vrai ou faux
dans les cases blanches
de mon histoire
Chaque jour
j'apprends à décevoir
Peut-être parce qu’au fond, nous sommes tous, à notre façon, dans un coma. Tous en construction ou reconstruction, tentant de raccommoder un passé flou, de le réécrire, de le rendre cohérent. Dans cette quête, on cherche des repères, on coche des cases, on tente de se conformer pour mieux s’identifier. Et parfois, on apprend à décevoir. Mais peut-être qu’on apprend surtout à se décevoir, silencieusement, sans s’arrêter d’avancer pour autant. Ce qui rend cette œuvre si forte, c’est qu’elle ne cherche pas à résoudre ce malaise. Elle l’accueille.
L’écriture d’Eva Marzi est volontairement floue, brumeuse, presque aqueuse — comme les mouvements d’un hippocampe dans les profondeurs. On ne sait jamais si l’on est dans un souvenir, une hallucination, un rêve. Les frontières entre réel et fiction, entre corps et esprit, sont poreuses. C’est là que réside la poésie du texte : dans son refus de trancher, dans sa capacité à nous maintenir dans l’ambiguïté.
L’amour est-il une porte de sortie ? C’est la question que pose Sofia, personnage lumineux, dévoué, presque sacrificiel. Elle tente, page après page, de ramener Malik à lui-même. Mais Hippocampe ne nous offre pas un conte inversé où un baiser réveille le prince. Au contraire : l’amour de Sofia ne le sauve pas. Et pourtant, il existe, il agit, il entoure — comme un souffle, un halo invisible. Peut-être est-il là, en veille, dans l’inconscient de Malik. En grande romantique, j’ai envie de croire que l’amour, même ignoré, laisse des traces.
Ce texte m’a appris quelque chose de dur mais de vrai : il est parfois impossible de se souvenir intégralement de qui l’on était. Parfois, ce qu’on reconstruit est déjà une fiction. Et peut-être que ça n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est le mouvement. Le désir de se retrouver. La tentative.
Eva Marzi ne propose pas une solution, mais une atmosphère. Elle nous plonge dans le brouillard, et dans ce brouillard, on se découvre, on vacille, on ressent. Hippocampe est un livre sur l’échec, sur l’amour impuissant, sur la mémoire défaillante. Mais aussi — et surtout — sur le courage discret de continuer malgré tout.
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