La Diplomatie de la Mongolie : Entre les Géants Russe et Chinois

Publié le 21 novembre 2024 à 11:37

Le 3 juillet 2024, une rencontre significative a eu lieu à Astana. Wang Yi, membre influent du Bureau politique du Parti communiste chinois et ministre des Affaires étrangères, a présidé des consultations trilatérales entre la Chine, la Russie et la Mongolie. Accompagné de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et de Battsetseg Batmunkh, ministre mongole des Affaires étrangères, cette réunion illustre l’importance croissante des dynamiques trilatérales dans une région dominée par la Russie et la Chine. Ces discussions coïncidaient avec le 75ᵉ anniversaire des relations diplomatiques bilatérales entre ces trois nations, ainsi que le 10ᵉ anniversaire du mécanisme de coopération Chine-Russie-Mongolie.

 

Cet événement met en lumière une réalité constante : la Mongolie, enclavée entre deux superpuissances géopolitiques, joue un rôle complexe et stratégique. Sa diplomatie est une danse délicate entre influence et indépendance.

La Mongolie occupe une position unique sur la scène internationale. Enclavée entre deux géants — la Russie au nord et la Chine au sud —, elle est à la fois tributaire et influencée par ces voisins colossaux. Pourtant, la Mongolie a su développer une politique étrangère subtile pour préserver son autonomie, tout en exploitant au maximum les opportunités offertes par ses partenaires. Cet article explore comment ce petit pays parvient à maintenir un équilibre délicat dans ses relations avec ses deux voisins tout en diversifiant ses alliances.

Relations avec la Russie

Héritage Historique et Relations Traditionnelles

 “Le pays est sans doute le plus occidentalisé de la région : il s’agit là du legs des 70 années de présence et d’influence soviétiques.”

 

La Russie a été un acteur majeur dans l’émancipation de la Mongolie, jouant un rôle décisif lors de l’éviction des troupes chinoises avec l’aide de ses forces. L’effondrement de la dynastie Qing a offert à la Mongolie une occasion historique de se tourner vers son puissant voisin russe pour consolider son autonomie. En 1924, la Mongolie proclame la République populaire, un régime étroitement aligné sur Moscou. Bien qu’elle n’ait jamais été une république soviétique officielle, elle est souvent qualifiée d’État satellite en raison de sa dépendance politique et économique à l’égard de l’URSS.

Pendant des décennies, l’Union soviétique est le seul pays à reconnaître l’indépendance mongole, forçant progressivement la Chine à en faire de même. Cela permet à Oulan-Bator d’élargir ses relations internationales, tout en restant sous l’influence écrasante de Moscou. Cette domination commence à s’éroder avec la révolution démocratique de 1989-1990, qui marque le début d’un tournant politique majeur en Mongolie. En décembre 1992, la dernière garnison soviétique quitte le pays, symbolisant la fin d’une ère de contrôle direct.

Malgré l’affaiblissement de cette emprise, la Russie demeure un partenaire incontournable dans les relations bilatérales. Les liens historiques, bien qu’atténués, continuent de façonner les échanges politiques, économiques et culturels entre les deux nations. Aujourd’hui encore, le cyrillique est utilisé comme système d’écriture de référence chez les mongoles. 

 

Partenariats Économiques et politiques 

 

Les relations économiques entre la Russie et la Mongolie, longtemps en déclin, connaissent un renouveau face au poids croissant de la Chine. Bien que la Mongolie représente une faible part du commerce extérieur russe, elle constitue un débouché intéressant pour les exportations russes, notamment dans les secteurs agro-alimentaire, agricole et des transports. Depuis 2017, les échanges bilatéraux augmentent rapidement, portés par des projets communs comme le corridor économique Chine-Mongolie-Russie, intégré aux « Routes de la soie ».

Moscou conserve une influence clé grâce à sa participation dans les chemins de fer mongols via la société mixte russo-mongole, qui profite de l’intensification des échanges eurasiatiques. Des projets de modernisation, comme la construction d’un terminal à conteneurs, visent à soutenir cette dynamique. Par ailleurs, le président mongol Khaltmaagiyn Battulga, élu en 2017, a fait de la relance des relations avec Moscou une priorité, favorisée par les liens historiques et éducatifs entre les élites mongoles et la Russie.

Ce rapprochement est notamment une réponse face à la montée en puissance de la Chine 

Sur le plan politique, la Russie conserve une influence significative en Mongolie, agissant comme un soutien diplomatique et militaire. Cependant, cette relation est aussi une source de prudence pour la Mongolie, qui cherche à éviter toute dépendance excessive.

Relations avec la Chine

Croissance Économique et Investissements

 

La Chine est désormais le principal partenaire économique de la Mongolie, avec 90 % des produits de consommation sur le marché mongol importés de Chine. Elle est également le premier investisseur étranger dans le pays, ayant financé plus de 3 700 projets pour un total de 1,18 milliard de dollars dès 2007. Environ 70 % des échanges bilatéraux passent par la région autonome de Mongolie-Intérieure, qui joue un rôle clé dans ces relations commerciales. Une zone commerciale spéciale à la frontière est en projet pour renforcer ces échanges.

Les commerçants mongols participent activement à ce commerce transfrontalier, notamment en important des produits culturels de Mongolie-Intérieure, très prisés en Mongolie. Cependant, cette forte présence chinoise suscite parfois des tensions. Certains Mongols reprochent aux entreprises chinoises de concurrencer les locaux et dénoncent l'usage des caractères chinois dans les enseignes commerciales. Pourtant, de nombreux employeurs, y compris mongols et japonais, privilégient les travailleurs chinois, réputés pour leur productivité et leur discipline.

Ces dynamiques économiques témoignent de l’interdépendance croissante entre la Mongolie et la Chine, bien que des sensibilités culturelles et sociales compliquent parfois cette relation étroite.

 

Défis Géopolitiques

 

Cependant, cette dépendance économique vis-à-vis de la Chine n’est pas sans poser des défis. La concentration des exportations vers un seul marché augmente la vulnérabilité économique de la Mongolie. Par ailleurs, des préoccupations croissantes émergent autour de la gestion des ressources naturelles et des impacts environnementaux des projets chinois en Mongolie.

La Chine, en tant que puissance régionale majeure, exerce également une influence culturelle et politique en Mongolie, une situation qui suscite parfois des résistances au sein de la population locale, comme en témoigne l’expression mongole “ Hulja-go home” (Хужаа, гэртээ харь) qui signifie “les chinois rentrez chez vous”.

Stratégie d'équilibre 

 

Face à ces enjeux, la Mongolie adopte une approche multilatérale pour équilibrer ses relations avec la Chine. Le "Third Neighbor Policy", qui vise à renforcer les relations avec des puissances comme les États-Unis, le Japon ou l’Union européenne, constitue un pilier de cette stratégie. En diversifiant ses partenaires, la Mongolie cherche à préserver sa souveraineté et à éviter une dépendance excessive envers ses voisins immédiats.

 

L’exemple de la France

 

Dans le cadre de cette politique, la France occupe une place stratégique. Elle dispose d'une ambassade imposante et moderne au cœur du centre-ville d’Oulan-Bator, symbole de son engagement diplomatique fort.

La visite historique d’Emmanuel Macron en Mongolie en mai 2023, première d’un président français dans ce pays, a marqué une nouvelle étape dans les relations bilatérales. Cette visite a permis de renforcer la coopération dans plusieurs domaines, notamment l’exploitation de l’uranium, une ressource clé pour les deux pays. La France, via ses entreprises comme Orano, collabore avec la Mongolie pour développer des projets miniers stratégiques tout en veillant à respecter les normes environnementales, un enjeu crucial pour ce pays riche en ressources naturelles mais soucieux de préserver son écosystème.

Ainsi, la France, en tant que « troisième voisin », soutient activement la Mongolie dans sa quête d’indépendance stratégique tout en contribuant à son développement économique durable.

 

Malgré cette stratégie de diversification, la Russie demeure le premier allié et Ami de la Mongolie. Comme le souligne celui que nous surnommons “Cobi”, exécutant en douane à l’aéroport d'Oulan Bator, la russie demeure la première ambassade en Mongolie et ils sont culturellement plus proches. 

 

Sources 

 

"Géostratégie de la Mongolie : entre le marteau et l'enclume", Philippe François, Jean-Marie Cambacérès, Vincent Desportes,  Pages 899 à 909.

https://shs.cairn.info/revue-politique-etrangere-2008-4-page-899?lang=f

 

"Vers un renouveau des relations russo mongoles ?", David Teurtrie, le 1 novembre 2018.

https://fr.obsfr.ru/report/15204/12061/#:~:text=La%20relance%20du%20partenariat%20russo%2Dmongol&text=Et%20si%20la%20Mongolie%20repr%C3%A9sente,de%20transport%2C%20aviation%20civile).

 

“MONGOLIE. Sous très forte influence chinoise”, courrier international, le 4 juillet 2008. 

 

“Mongolia's 'Third Neighbor' Foreign Policy”, Beyond Russia and China, third neighbor countries play a crucial role in Mongolia, Asia society.

https://asiasociety.org/korea/mongolias-third-neighbor-foreign-policy

 

Emmanuel Macron's quick but 'geostrategic' visit to Mongolia”, le Monde, par  Philippe Ricard, le 22 mai 2023. 

https://www.lemonde.fr/en/asia-and-pacific/article/2023/05/22/emmanuel-macron-s-quick-but-geostrategic-visit-to-mongolia_6027511_153.html

 

“La diplomatie française en quête d’uranium”, le monde de l’énergie, publié le 11.10.2024 

https://www.lemondedelenergie.com/la-diplomatie-francaise-en-quete-duranium/2024/10/11/#:~:text=Orano%20(ex%2DAreva)%2C,mine%20d'uranium%20en%20Mongolie.






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